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PUISSANCE DES FEMMES DANS LE MONDE DU VIN

Sophie Milesi des Champagnes Guy Mea avec la citation "Petite je ne cessais de répéter avec le sourire jusqu'aux oreilles et le regard malicieux quand je serais grande, je serais champagneuse"

Par Alessandra Fottorino

Aujourd’hui un article qui sort un peu des sentiers battus du 22, une mise en lumière des femmes actrices de notre métier. Les femmes et le vin, un vaste sujet. Mais qui sont-elles ? Celles d’aujourd’hui bien sûr mais celles d’avant aussi.

Depuis quand les femmes travaillent dans le vin ?

En tant que femme, caviste, entrepreneur, sommelière et grossomodo passionnée par tout ce qui  a trait au vin (ben tiens, on dira pas non à un p’tit verre !) J’ai eu de nombreux modèles masculins durant mon évolution dans ce métier, en effet à part en de rares exceptions, les femmes étaient quasiment invisibles de mon éducation bacchique.

Et pourtant, dieu sait qu’il y en a eu des femmes ! Je suis partie fouiller le sol de la vigne à la recherche de leurs traces, de leurs histoires, de leurs influences jusqu’aux pas de celles d’aujourd’hui, qui se battent à la vie comme à la vigne pour une visibilité à part entière, des vigneronnes qui ne sont pas « des femmes de ».

Du plus loin que l’on puisse remonter, on trouva la trace de femmes s’affairant au travail de la vigne sur des fresques Egyptiennes durant l’antiquité, voilà un peuple qui avait tout compris !

En France, au Moyen-âge, pour mettre une belle ambiance, les femmes risquaient la mort pour consommation d’alcool, cela devait donnait envie à certaines de faire carrière !

Je rappelle aussi qu’au 18eme siècle, la morale « bienpensante » entreprit d’honorer les femmes qui ne buvaient pas de vin, ce qui n’arrangeait pas nos affaires. Quand je pense à toutes ces femmes qui durent se créer des speakeasy pour boire entre elles à cette époque, j’aurai aimé être une petite souris !

Sophie Milesi, Champagne Guy Mea, fait déguster ses vins à la cave le vingt-deux
Sophie Milesi, Champagne Guy Mea, en dégustation au vingt-deux

Les célèbres Veuves dans le vin

Ne pouvant pas les citer toutes, il faudrait longues pages pour étayer mes propos, je citerai pour commencer celle qui trône sur de nombreuses tables et qui dans sa couleur orangée punko-bourgeoise se montre d’un certain standing. La Veuve Cliquot Ponsardin, hormis le fait d’être un champagne bien connu avec un certain coté bling bling, était avant tout une femme de poigne, qui reprit la maison de Champagne de son défunt mari. Esprit d’entrepreneur Bonjour, voilà qu’en 1807 notre chère Barbe-Nicole Ponsardin ( Barbe ? Tiens donc !) à peine âgée de trente ans prend la tête de la maison avec passion et entrain. A cette période peu encline au féminisme, il fallait une sacré volonté pour s’attaquer à une telle affaire. Visionnaire, proche des vignes, Barbe sera à l’origine du tout premier Champagne millésimé ( ça vous en bouche un coin non ? ). Une Grande Dame, assurément.

En parlant de veuves, Alexandrine Pommery et Joséphine de Lur-Saluce en 1788 avait emprunté quelques années avant le même chemin que la Veuve Cliquot à la suite du décès de leur mari. Ce qu’il faut retenir c’est que grâce à elles, à leur sens de l’innovation et des affaires leurs domaines respectifs connurent une ascension sans égal. Vous me direz, mais enfin, il n’y a que des veuves ? Mais oui ma bonne dame, pensez-vous qu’à l’époque une femme seule aurait pu s’installer à son compte en son domaine ? Voyons donc, un peu de sérieux voulez-vous.

Poursuivons avec celle que je nommerai Madame Fam’dombre, cette femme aux multiples visages a incarné un labeur intense dans l’ombre la plus totale. En effet, comme pour de nombreux métiers agricoles et pas que, les femmes ont travaillé la vigne, la terre, dans l’ombre de leur mari aussi et surtout de la société. Un travail sans lumière, sans récompense et sans reconnaissance. Les travaux pénibles des vendanges étaient surtout confiés aux femmes, durant une longue période, le chai leur était interdit, superstition oblige, elles auraient pu faire tourner le vin !

Pourtant dans tous les domaines viticoles, des femmes travaillaient sans compter (pas besoin de compter quand on n’est pas payé, astucieux non ?) Ces travailleuses exceptionnelles ont participé à la création de nos vignobles et à leur évolution. C’est cette femme-là qui fut un grand modèle invisible, n’oublions pas qu’à cette époque, elle ne pouvait pas revendiquer de statut, encore moins une position sociale et pourtant elle était bien là.

Isabelle Pangault dans son champ
Isabelle Pangault, Domaine de l’Affût (Crédit photo: @aoctouraine/Cyril Ananiguian)

Tant de femmes vigneronnes

Comment ne pas parler de cette vigneronne qui me fait toujours autant rêver quand je pense à ses vins, Chantal Lescure, un nom chantant n’est-ce pas ? Chantal qui est partie en 1996 à notre grand désarroi a créé son domaine sur Nuits-Saint-Georges en 1975 avec son mari Xavier Machard de Gramont. Dès le départ, elle fit le choix du peu d’intrants et imposa sa vision. Sensibilisés depuis petits à la viticulture par leur maman, ses deux garçons reprennent le domaine avec le concours du très talentueux François Chavériat qui pousse toujours la qualité des vins à son maximum, le travail de la vigne et obtiendra la certification bio. Les vins sont d’une pureté incomparable, d’une grande régularité, exceptionnels.

Depuis maintenant quelques années, petit à petit les femmes s’imposent et défendent avec force une vision de leurs vins, sans avoir à se faire valider par quelque mentor paternaliste. Je pense à ces domaines que j’ai eu la chance de commercialiser lors de mes premières années dans ce métier, le Château Falfas en Côte de Bourg, l’un des Pionniers de la biodynamie dans le Bordelais (1989 ) dirigé par Véronique Cochran. Cette fille de vigneron talentueuse produit ses vins et sa propre histoire depuis 2010. Aujourd’hui secondée par ses filles, Véronique élabore des vins de grande qualité, sensibles et structurés et je suis heureuse de pouvoir les proposer à mes clients.

Voici encore d’autres vigneronnes qu’il me tient à cœur de citer, comme Sylvie Spielmann, vigneronne incontournable Alsacienne du coté Bergheim. Passionnée, investie et amoureuse du vivant, Sylvie produit de grands vins d’Alsace au profil singulier et sincère. Une femme seule qui prend la tête d’une propriété en Alsace, ça a pu faire jaser ! Mais dans la famille Spielmann, la maman était déjà elle-même à la direction du domaine. De mère en fille comme on dit ! Je retiens cette phrase qu’elle cite avec justesse :

« « Ce qui m’a attirée avec tant de force vers ce métier, c’est peut-être que d’abord tout semblait m’en éloigner. Être femme et vouloir choisir son destin sont choses qui vous conduisent à partir plutôt qu’à rester… Là-bas, j’ai compris que le défi était ici. Le bonheur aussi : le Domaine Sylvie Spielmann m’attendait… »

Domaine que nous avons à cœur de mettre en avant tous les quatre matins (défaut de caviste semble-t-il) C’est celui de Mylène Bru. Vigneronne du coté de Sète, toutes ses cuvées m’enchantent ! Depuis 2008, elle fait vibrer nos papilles à travers des vins lumineux et vivants. Des vins que je qualifierai de purs au sens immédiat et francs. Le fruit est éclatant, la texture est sensuelle, Mylène fait parler d’elle dans le monde du vin, en tout humilité.

La vigneronne Mylène Bru dans un salon professionnelle, devant ses cuvées
Mylène Bru en salon (Credit Photo : @domaine.mylene.bru)

A noter que du côté de Saint Pargoire, elle officie, une autre grande vigneronne charismatique qui n’a plus rien à prouver à commis des vins immenses depuis1988. Qui ? Marlène Soria du Domaine Peyre Rose. Qui n’a pas entendu un jour parler de ses cuvées Syrah Leone, Cyste et j’en passe ? Marlène à su imposer un style rare, unique et inimitable. Considéré à la fois comme des OVNI et comme des œuvres d’art, l’un s’allie bien à l’autre finalement, son domaine compte parmi les plus grands du vignoble Languedocien. Rien n’aurait été possible sans un courage et une volonté de fer. Malgré ses peu de moyens de l’époque, Marlène fait partie de celles qui ont refusé d’entrer dans un système de coopérative, qui engageait alors pour vingt-cinq ans. Une pionnière aussi dans ce désir puissant d’indépendance et de liberté.

Pour finir, ce qui m’est douloureux tant il y a de vigneronnes à saluer et de choses à dire, je parlerai d’Isabelle Perraud, vigneronne de talent du domaine des cotes de la Molière en Beaujolais, du côté de Vauxrenard . Pleinement engagée dans la cause des femmes, que ce soit dans la vie et dans la vigne, Isabelle offre une voix retentissante sur l’existence et l’implication des femmes dans leurs vignobles. Militante jusqu’aux bout des ongles, elle produit avec son mari Bruno des vins lumineux, gorgés de fruits, charnus au charme ravageur. Certifiés bio et biodynamie, ce qui, et c’est notable est souvent une cause commune aux grandes vigneronnes que je viens de citer. Isabelle met le doigt ou ça fait mal, dénonce le manque de visibilité des femmes, fait du bruit dans les couloirs et incite nombre de femmes du vin à s’affranchir d’un certain dogme paternaliste latent.

Enfin, je citerai à la volée une poignée de vigneronnes qui cassent les codes (ou les ont cassés), dérangent nos papilles, nous font réagir et raisonner sur ce que l’on boit, comme Isabelle Pangault du Domaine de l’Affut, Michèle Aubery du Domaine Gramenon, Laurence Alias et Pascale Choime de la Closerie des Moussis, Genevieve Delatte du Domaine Bertin Delatte, Delphine Boulard des Champagnes Francis Boulard et Fille, Sophie Milesi des Champagnes Guy Mea…et bien d’autres !

Mon métier que je vois se féminiser avec une joie non dissimulée, est de défendre des vins engagés et de qualité, de rétablir une égalité n’ayant jusqu’alors jamais été équitable dans notre force de proposition. Qu’on se le dise, Les vigneronnes ont été, sont et seront !